Ceci est un article que j'avais rédigé pour Asclepieia, un ami avec qui je partage un certain nombre d'idées, de combats, d'opinions, ... Il m'avait laissé tribune libre à l'époque (janvier 2011) et m'a autorisé ce petit recyclage... Merci à lui !
Une fois que l’on est un peu au clair sur le « trou de la sécu » (voir
Episode 1), on raisonne au niveau de l’hôpital, toujours pointé de toute part comme le responsable unique de tous les maux de la Sécurité Sociale…
En effet, c’est tellement de sa faute à l’hôpital, que la Direction Générale de l’Offre de Soins (la DGOS, administration centrale dépendante du Ministère de la Santé) a décidé de le punir…
Certes, cela paraît difficile de punir l’hôpital davantage qu’il ne l’est aujourd’hui, puisque la Tarification à l’Activité est devenue la seule et unique source de financement de l’hôpital public (et dans une moindre mesure du Privé à but non lucratif).
Comme l’Etat a fixé les tarifs et qu’ils sont fortement sous-évalués, à chaque fois qu’un hôpital fait un acte peu rentable (par exemple faire de la prévention, recevoir une urgence), il doit compenser en faisant un acte un peu plus rentable (une opération de la cataracte par exemple. Saluons au passage les ophtalmologistes du secteur public qui ne cèdent pas à la tentation… Je me comprends)…
Le souci, c’est qu’il y a souvent plus d’urgences que de cataractes dans les hôpitaux, et du coup, ils sont en déficit…
On en arrive à des situations où, pour faire davantage d’actes, on hospitalise des patients pour faire des soins qui auraient pu se faire à leur domicile (et dans l’intervalle, si on les déplace, la sécurité sociale prend en charge une partie du remboursement des frais de transport).
Toute cette cotation supplémentaire, cela représente une perte de temps incroyable pour les professionnels de santé, qui, pour détourner l’affiche promouvant la civilité malgré l’attente aux urgences, si on ne s’occupe pas de vous, c’est parce qu’on termine le codage…
Complexifions un peu les choses (je suis sûr que c’était suffisamment clair) : si l’on rajoute à cela les disparités d’accès aux soins sur le territoire (répartition médicale), avec, de surcroît, des problématiques sanitaires différentes, on comprend qu’une solution de proximité pourrait être une bonne idée pour apporter une solution efficiente à un territoire.
En effet, on peut comprendre avec un peu de bon sens que les habitants d’une petite bourgade de campagne dans le Nord n’ont pas les mêmes besoins sanitaires que ceux d’une grande mégalopole dans le Sud, et qu’il faut prendre en compte les spécificités locales dans une logique de proximité, avant de dire que, pour faire des économies à très court terme, on va envoyer une brave grand-mère de sa maison à un hôpital à 300 bornes de chez elle…
C’était un peu pour ça que la création des Agences Régionales de Santé (ARS), par la loi Hôpitaux Patients Santé Territoire (HPST), aurait pu être un grand levier : on aurait pu avoir des politiques de santé publiques mieux définies au niveau régional, avec davantage de proximité des structures de soins, en prenant en compte les différents déterminants de santé régionaux…
Le problème, c’est que, à peine avait-on nommé un directeur à leur tête qu’il y a eu un changement de paradigme : en mars 2010 (si ma mémoire est bonne, il s’agissait des régionales), l’organisme chargé de l’organisation des soins (la Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins, DHOS) change de nom (et de quelques menues fonctions, puisque désormais également en charge de la « défense » du privé à but lucratif) en devenant la Direction Générale de l’Offre de Soins, DGOS.
Déjà au nom, cela met la puce à l’oreille : offre de soins… Élémentaire mon cher Watson : Offre de soins, ça sonne un peu comme dans la loi de l’Offre et de la Demande, comme sur les places boursières, puisqu’il va de soi que ce sont des choses rigoureusement identiques.
Le mode de fonctionnement semble assez mathématique : si j’enlève 1 ici et que j’enlève 2 là, j’attends à ce que -3 fasse un résultat identique voire meilleur… En réalité, ça correspond à -5…
Maintenant que l’on est un peu plus éclairés sur la DGOS, posons-nous sur
sa dernière proposition, révélée par Le Figaro (Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. On ne m’y reprendra pas).
En effet, la DGOS propose très sérieusement de fixer aux hôpitaux un quota d’activité, et de les sanctionner financièrement en cas de dépassement, un peu comme quand les banques vous prennent des agios alors que vous êtes déjà à découvert : on continue à creuser alors qu’on touche déjà le fond !
Là, j’ai du m’asseoir et relire la phrase au calme : la Tarification à l’Activité impose aux Hôpitaux de faire le maximum d’actes, pour être rentables, alors, pourquoi punir d’une amende lorsqu’on fait des efforts pour être rentables ? Faisons une comparaison : c’est comme demander à un pilote d’avion de tourner à gauche et à droite en même temps ! Il se trouvera toujours un décideur pour s’étonner que l’avion s’écrase !
Tout ceci serait contractualisé entre le Ministère de la Santé et les différentes ARS, mais sans aucune référence aux déterminants de Santé, aux limites de l’Organisation des Soins, ou à une vision de Santé Publique, accessible à tous.
Cela ne repose sur aucune espèce de bon sens : Si une région n’est pas équipée pour réaliser un acte technique spécialisé, ou qu’elle n’en réalise pas suffisamment pour assurer une pratique sans risque (contrairement au vélo, la chirurgie, ça s’oublie si on ne la pratique pas), en vertu de quoi toutes les autres régions devraient-elles s’aligner sur elle ?
Ce n’est pas l’égalité, qu’il faut défendre en matière de Santé, mais bien l’équité ! Et plutôt que d’uniformiser la quantité des pratiques, ce qui n’est qu’une source de désadaptation de l’organisation des soins aux besoins de la population, uniformisons la qualité !
A quoi cela peut bien correspondre de dire qu’il faut que 15 % de la population d’une région ait passé une coloscopie ?
Ne faut-il pas plutôt se battre pour l’équité, à savoir que tous ceux qui en ont besoin puissent en bénéficier ?
(Ne passez pas à côté de l’accès aux soins, ça pourrait être un slogan qui porte… Où peut-on bien chercher tout ça ?)
Rappelons que la densité médicale, d’après le Conseil National de l’Ordre des Médecins, dans son Atlas 2010 de la démographie médicale, est très irrégulière sur le territoire : en moyenne, 309 médecins pour 100 000 habitants, avec les extrêmes : Picardie : 239 m/100 000 hab. vs PACA : 374 m/100 000 hab.
Pourquoi accepter ce nivellement par le bas, alors que l’on pourrait, tout en conservant la proximité, mieux mailler les structures de soins sur le territoire ?
Pourquoi mettre un tel bâton dans les roues des Agences Régionales de Santé, si jeunes et encore fragiles ?
D’autant que, en plus de mettre la Tarification à l’Activité sur un piédestal, malgré son inefficacité (on a vu l’explosion du déficit depuis 2008), ce système lui donne un rôle encore plus inique.
Il faudra réaliser un nombre exact d’actes : suffisamment pour être rentables, mais pas trop pour ne pas être sanctionné.
Quoi qu’il arrive, à un moment ou à un autre, les patients qui ne pourraient être accueillis dans le public (ou le privé participant au service public, c’est à dire à but non lucratif) seraient dirigés « gracieusement » vers le secteur privé à but lucratif…
En sachant que les médecins qui y exercent, ne sont pas nécessairement salariés, et ne sont pas soumis, en plus, aux mêmes contraintes.
On poursuit le décalage entre public (et privé à but non lucratif) et privé à but lucratif, avec, d’un côté :
- des patients plus lourds à gérer, chez qui on profite de l’hospitalisation pour régler plein d’autres problèmes de santé, dans une vision plus globale de la santé, en réseau
- des objectifs chiffrés d’actes
- une gestion des urgences 24h/24, 7j/7
et de l’autre :
- une sélection des patients sur des critères financiers, chez qui l’acte est une fin en soi
- aucun critère chiffré d’actes
et ces deux structures, d’après la Tarification à l’Activité, reçoivent la même subvention de la Sécurité Sociale pour un « acte » donné. Le patient est remboursé sur la même base par la Sécurité Sociale.
Soyons clairs, un patient ne sera accepté en secteur libéral à but lucratif que s’il est à même de payer et que son cas est suffisamment rentable. Cela mettra obligatoirement des gens sur le carreau, et augmentera l’exclusion des malades !
Pour autant, ne tirons pas à boulets rouges sur le secteur libéral à but lucratif, les médecins qui y sont affiliés n’ont ni régime de sécurité sociale, ni possibilité d’avoir des congés payés, des congés de maternité, une reconnaissance d’un Accident du Travail, …
Mettons un peu à part, mais pas trop, le secteur libéral intra-CHU, mais on peut comprendre l’envie des praticiens d’être un peu respectés dans leurs horaires, leur rémunération, leur organisation du travail quand, à l’hôpital, le salaire d’un Chef de Clinique Assistant (minimum bac + 10), est de 1 400 € bruts par mois, avec des horaires entre 45 et 60 heures par semaine, et ce sans les gardes.
Rappelons également que la valeur d’un médecin généraliste est estimée à l’équivalent de 3 menus chez MacDo par consultation, qu’il y passe 20 minutes ou 1h (et qu’un généraliste en secteur 1, garde comme rémunération nette sur sa consultation, l’équivalent des frites et du sandwich d’un seul menu sur les 3…), avec des missions de plus en plus importantes !
Si on ajoute à cela l’absence d’évaluation des pratiques, des certifications relativement difficiles à comprendre, le poids de l’administratif dans la médecine, la pénurie des vocations et la judiciarisation, le cocktail a de quoi faire les beaux jours des assureurs…
Avec tout ça, on tire définitivement un trait sur tout ce qui n’est pas coté dans la Tarification à l’Activité, mais pourtant, la chose la plus précieuse : le temps humain passé avec les patients…
Quel sens donne-t-on à cette Santé-là ?
NDLR: Je vous invite, en attendant l’épisode 3 de cette série d’articles, à signer la pétition du Mouvement de Défense de l’Hôpital Public.